Retraites : samedi de colère pour les syndicats, sur fond de mobilisation en baisse et de tensions à Paris

12/03/2023

Par Wladimir Garcin-Berson et Clara Hidalgo Publié hier à 19:51 le figaro

Le nombre de manifestants était en baisse pour cette septième journée de mobilisation contre la réforme des retraites. Mais la grogne des syndicats demeure : ils appellent l'exécutif à demander son avis au peuple, via une «consultation citoyenne».

«En colère», les syndicats promettent de maintenir la pression sur le gouvernement, malgré une journée d'action plutôt décevante. Ce samedi 11 mars, 368.000 personnes ont battu le pavé selon le ministère de l'Intérieur, pour la septième fois contre le projet de réforme des retraites, qui s'approche de ses ultimes étapes au Parlement. La CGT revendique, elle, plus d'un million de manifestants sur l'ensemble du pays. Dans les rangs des cortèges, la journée a été marquée par la «détermination» des participants, qui s'est aussi manifestée par des affrontements avec les forces de l'ordre à Paris.
En début d'après-midi, les patrons des centrales derrière le mouvement social ne cachaient pas leur déception, au début d'une journée qui s'annonçait moins puissante que les autres. Le samedi est pourtant, à leurs yeux, une belle occasion pour que les familles et les salariés du privé se joignent aux manifestants. Peine perdue, les cortèges ayant été bien moins fournis. Qu'importe : pour les syndicats, il s'agit d'additionner les deux manifestations ayant eu lieu cette semaine pour avoir le véritable chiffre. Et si moins de gens ont répondu présent, cela ne doit pas cacher la colère profonde et de plus en plus forte des opposants, jugent-ils.

«La détermination a dépassé le stade de la colère»

Il faut dire que les dernières péripéties du texte - l'accélération des débats au Sénat, les prises de parole polémiques des membres du gouvernement, dont le porte-parole, Olivier Véran, jugé sévèrement par les syndicats - ont renforcé l'impression d'un pouvoir campant solidement sur ses positions. La réponse d'Emmanuel Macron aux demandes de l'intersyndicale d'être reçue, sans succès, a achevé de les agacer.

«C'est très curieux, pour ne pas dire scandaleux», s'est indigné Laurent Berger, peu avant le départ du cortège parisien. «On nous dit, circulez, il n'y a rien à voir», a ajouté l'emblématique patron de la CFDT. «La détermination a dépassé le stade de la colère», a quant à lui averti Philippe Martinez, de la CGT, parlant d'un «véritable bras d'honneur [de l'exécutif] au mouvement social».

«Les gens risquent de se dire, si le gouvernement veut des violences et des blocages, donnons-lui ce qu'il veut», a renchéri son homologue de Force Ouvrière, Frédéric Souillot, quand Laurent Escure, pour l'Unsa, a estimé qu'on «passe d'une crise sociale à une crise politique». «Mépris», «affrontement stérile»... Les mots étaient durs, chez les syndicalistes, pour juger l'attitude de l'exécutif. «La réponse du président de la République a été : allez vous faire voir !», s'est aussi agacé Philippe Martinez. Ambiance.

Violences et dégradations

À Paris, contrairement au reste du territoire, le cortège parti de la place de la République a été marqué par des violences, des dégradations du mobilier urbain et des affrontements avec les hommes en bleu. Celles-ci étaient redoutées par les syndicats : mardi, lors de la dernière mobilisation parisienne, le service d'ordre encadrant la tête du cortège syndical avait empêché des manifestants violents, en tête, de se cacher parmi les participants. De quoi rendre furieux les individus, qui avaient multiplié quolibets, insultes, doigts d'honneur et cris de «collabos» envers les membres des services d'ordre syndicaux.

«Ils risquent de nous le montrer, cette fois-ci», confiait le patron d'une centrale, samedi midi. La mobilisation était ainsi devancée de plusieurs centaines d'individus vêtus de noir et multipliant les slogans anticapitalistes ou antifascistes, qui se collaient aux syndicats pour gêner l'action des forces de l'ordre, ou, peut-être, gêner le service d'ordre syndical. La préfecture de police a aussi relevé des jets de projectiles envers la CGT, dans la capitale.

Face à ces perturbateurs, les forces de l'ordre ont chargé à plusieurs reprises pour éloigner les personnes violentes des syndicats, interpellé 32 individus selon la préfecture de police et utilisé à plusieurs reprises du gaz lacrymogène. Ailleurs en France, les mobilisations se sont déroulées majoritairement dans le calme. Sauf à Nantes où des violences ont éclaté entre certains manifestants et des CRS en fin de journée, en marge du cortège. La police a notamment employé du gaz lacrymogène.

Une mobilisation en nette baisse

Cette journée de contestations est aussi marquée par un nombre de participants retombé à son plus bas étiage. À Paris, 300.000 Français sont descendus dans les rues de la capitale, a annoncé la CGT. Alors que le ministère de l'Intérieur en recense 48.000. Une mobilisation en nette baisse par rapport aux 700.000 manifestants revendiqués par le syndicat après la dernière mobilisation, le mardi 7 mars. Et au même niveau que la journée du 16 février qui avait enregistré jusqu'alors la plus faible participation depuis le début du mouvement social.

En régions, les participants manquent également à l'appel. Comme à Nantes où 13.000 manifestants se sont réunis a affirmé la préfecture de police à 17 heures, contre 25.000 selon l'intersyndicale. Mardi 7 mars, ils étaient 30.000 d'après la préfecture, et 75.000 selon les syndicats. À Nice, 8000 personnes se sont rassemblées, a affirmé la CGT, contre 2300 selon la préfecture. Le mouvement était également bien plus faible que mardi dernier. Le 7 mars, la CGT annonçait 30.000 manifestants, contre 6000 pour la préfecture.

Demander l'avis des Français

Et maintenant ? Après cette nouvelle journée, alors que des grèves reconductibles sont toujours actives dans certains secteurs, dont les transports, la situation semble bloquée. Malgré sept mobilisations, les syndicats ne parviennent pas à faire bouger le gouvernement, lequel avance à pas de charge sur son projet de réforme, désireux de passer rapidement à la suite du quinquennat. «Ça me fait ch... qu'on en arrive là... on devrait pouvoir travailler ensemble sur des questions politiques, de fond», regrette, amer, un patron de centrale syndicale.

Alors, mercredi, les opposants redescendront à nouveau dans la rue, avant d'annoncer, le soir, les suites à donner à un mouvement social qui piétine. Parallèlement, les syndicats ont lancé, samedi, un défi à l'exécutif : demander son avis au peuple, via un référendum ou n'importe quel dispositif similaire, sur les points les plus explosifs du texte - le recul de l'âge légal, et l'accélération de la durée de cotisation. «Puisque le président de la République est si sûr de lui, qu'il consulte les citoyens !», a lancé, bravache, Philippe Martinez, sûr d'emporter le soutien populaire.

Sur le plus long terme, les syndicats accusent l'exécutif de mettre en danger l'équilibre démocratique, en refusant d'écouter la rue. «L'état de notre démocratie m'inquiète de plus en plus», a soupiré François Hommeril, de la CFE-CGC, quand Laurent Berger a «imploré» le gouvernement de sortir de cette crise par le haut, en reculant. Certains s'inquiètent aussi d'une montée de la violence, face au silence du gouvernement. Lequel rappelle qu'il a été élu sur un programme, qui contenait notamment une réforme des retraites. Le dialogue de sourds se poursuit.