Immigration : Le débat « peut être apaisé et dépolitisé par la connaissance et le dialogue »

28/02/2023

convention citoyenne Parsemé d'idées reçues qui se heurtent à la réalité des faits, le sujet de l'immigration s'est cristallisé pendant des années

https://www.20minutes.fr/journaliste/cecile-de-seze

  • Quelque 400 scientifiques ont signé une tribune dans Le Monde parue lundi appelant à l'organisation d'une convention citoyenne sur le thème de l'immigration.
  • L'objectif est d'instaurer un dialogue entre les citoyens et les chercheurs, associations et personnes concernées par le sujet afin de décrisper un débat profondément politisé.
  • Quels sont les idées reçues qui constituent un frein au dialogue serein sur l'immigration en France ? Comment reconstruire un débat apaisé sur la question ? Quels sont les avantages d'une convention citoyenne ? 20 Minutes a posé la questions à deux experts du sujet.

Remettre les faits au cœur du débat, opposer aux fantasmes sur l'immigration les chiffres et les résultats de recherches scientifiques. C'est l'objectif des 400 signataires scientifiques d'une tribune parue dans Le Monde ce lundi et qui appellent au lancement d'une convention citoyenne à l'image de celle qui a été organisée sur le climat. Car « la connaissance peut parvenir à dépolitiser le sujet », explique à 20 Minutes Perin Emel Yavuz, présidente de Désinfox-Migrations, à l'heure où une énième nouvelle loi sur l'immigration en France est dans les tiroirs et doit être examinée par le Sénat fin mars.

Quelles sont les idées fausses qui polluent une réflexion éclairée autour de l'immigration ? Pourquoi un débat apaisé est-il si difficile à mettre en place ? En quoi une convention citoyenne peut-elle faire partie de la solution ? Eléments de réponse avec Perin Emel Yavuz et Patrick Simon, directeur de recherche à l'unité Migrations internationales et minorités à l'Ined (Institut national d'études démographiques).

Quels sont les préjugés sur l'immigration en France ?

Il n'y a pas une mais de nombreuses idées reçues autour des immigrés en France. Qu'elle concerne la proportion de personnes accueillies, la place de la France dans les choix de pays hôte par les personnes concernées ou le coût qu'engendrait cet accueil des immigrés. « Une des plus répandues, c'est l'idée que la France a à faire à un flux massif de réfugiés et de demandeurs d'asile », note Perin Emel Yavuz. Or, selon les chiffres de Désinfox-Migrations, association associée à l'Institut Convergences Migrations (ICM), et engagée pour davantage d'objectivité dans la question migratoire, la France est aujourd'hui derrière la plupart des pays européens de l'ouest en matière d'accueil des réfugiés et se classe au 77e rang. Contrairement à la théorie populaire de l'extrême droite du grand remplacement, reprise à l'occasion par des candidats Républicains à la présidentielle, il n'y a pas davantage d'arrivées dans les pays développés que dans les autres, les flux migratoires vers les pays du Sud global étant équivalents quantitativement.

Autre cliché : le fait que les personnes étrangères arrivant sur le territoire représentent davantage un coût qu'une opportunité pour le pays. Pourtant, « l'immigration est un facteur de dynamisme, de renouvellement des idées, de l'amélioration des conditions de vie, c'est plutôt un élément positif sur notre société, loin de la menace qu'elle représenterait selon certains discours », explique ainsi Patrick Simon. Plus concrètement, les immigrés participent davantage à l'économie du pays qu'ils n'en tirent profit. Loin de cette idée que les immigrés constituent un poids pour le système d'aides sociales, « ils sont davantage contributeurs qu'ils ne reçoivent d'aide, argumente Patrick Simon. Et ce, notamment par le fait qu'ils contribuent au système des retraites sans qu'ils puissent toujours en bénéficier parce qu'ils sont plus jeunes que la moyenne de la population et qu'ils retournent plus tard au pays d'origine. »

Pourquoi un débat apaisé est-il si compliqué ?

Ces clichés ont contribué à développer une idée fausse de ce qu'est l'immigration en France, devenu un sujet intensément politisé et « utilisé comme un thème à travers lequel on évoque des transformations de la société », analyse Patrick Simon. L'immigration traverse de nombreuses préoccupations comme les questions du logement, de l'emploi, de la laïcité, des inégalités. « L'immigration joue un rôle de cristallisation autour de ces débats comme si les immigrés étaient responsables ». Pourtant, concernant les inégalités, « ils font partie de ceux qui en souffrent le plus », rappelle Patrick Simon. Aujourd'hui, les personnes concernées sont devenues des « boucs émissaires » des maux de la société, résume-t-il.

Pourtant, les faits sont là, les chercheurs travaillent à se faire entendre par les responsables politiques. En vain. « Ils semblent comprendre ce qu'on leur explique, mais ça ne fait pas le poids face aux politiques toujours plus restrictives sur l'immigration engagées depuis des dizaines d'années », ajoute le directeur de recherche. « Ils réagissent à leur propre perception des attentes de l'opinion publique en alimentant un débat assez démagogue sur le sujet », développe-t-il. Pourtant, là aussi c'est une idée reçue que de penser que la majorité des Français seraient « anti-immigration ». En termes de préoccupation, il n'arrive qu'en quatrième position derrière le pouvoir d'achat, l'environnement et les retraites.

Une convention citoyenne peut-elle être une solution pour décrisper le dialogue ?

Pour remettre les faits objectifs au cœur du débat et rouvrir un dialogue apaisé, l'idée d'une convention citoyenne sur l'immigration a été proposée par l'association Pour une Convention citoyenne sur la migration. Le principal objectif, selon Perin Emel Yavuz, c'est de rendre les discours anti-immigration aussi obsolètes que les positions climatosceptiques. « C'est une méthode qui apporte un temps de réflexion, d'information, plus lent que le rythme politico-médiatique, un temps du débat entre des citoyens et des acteurs du terrain, des chercheurs, et des personnes concernées afin de déterminer ce que l'on désire comme politique migratoire », développe-t-elle.

Le débat « peut être apaisé et dépolitisé par la connaissance et le dialogue », insiste Perin Emel Yavuz. Toutefois, pour éviter que cette convention ne se transforme en déchaînement anti-immigration, il faudra « qu'elle mette en avant des éléments concrets, factuels, des chiffres scientifiques, prévient Patrick Simon, car les faits peuvent faire changer d'avis et il faut faire confiance à l'intelligence collective. »