'Flic' de Valentin Gendrot : "Je ne fais pas de grande idéologie sur ce qu’est la police, je raconte simplement ce que j’ai vu"

22/03/2023

17 mars 2023 à 10:16 Par Bénédicte Beauloye RTBF

Pour son livre Les enchaînés, Valentin Gendrot était entré dans la peau des contractuels précaires durant deux ans dans cinq grandes entreprises du nord de la France. Fort de cette expérience, il a entrepris un projet encore plus audacieux, une longue enquête comme journaliste infiltré dans la police nationale française. Il n'a pas fait que revêtir l'uniforme, il est passé par la formation de trois mois qui est donnée pour devenir une véritable nouvelle recrue des rangs policiers du commissariat du 19e arrondissement de Paris. Il était l'invité de Julie Morelle pour Déclic.

Un métier exigeant qui confronte à la noirceur du monde

Par son journal tenu quotidiennement au fil des interventions, Valentin Gendrot a deux objectifs en tête : appréhender le tabou des violences policières et mesurer le mal-être des policiers. Il réalise ainsi le plus objectivement possibleune enquête à charge et à décharge en huis clos. Il n'usurpe pas la fonction de policier, la formation express fait de lui un policier adjoint avec port d'arme sur la voie publique. Il constate les lacunes dans la formation, le manque de moyen des commissariats, les bas salaires, l'encadrement déficient. Et des conditions de travail inhérentes à la fonction mais lourds à endurer au quotidien.

"Policier est le deuxième métier en France pour lequel vous avez le plus de suicides. La faute au contexte général : l'absence de reconnaissance, le fait qu'une partie de la population déteste les policiers, la violence des conditions de travail, tout ce que vous faites dans votre métier est dans un contexte négatif. Vous vous levez le matin et la première chose que vous allez faire c'est surveiller des gens qui sont en garde à vue, c'est d'aller dans l'appartement de quelqu'un qui est mort sans savoir depuis quand, c'est se rendre sur le lieu d'un accident de la route. Tout cela est extrêmement violent. L'intérêt du livre, c'est de pouvoir parler de cela. Qu'est-ce que c'est d'être policier dans un quartier populaire parisien ?"

"Je ne fais pas de grande idéologie sur ce qu'est la police. Je parle des six mois que j'ai passés dans ce commissariat-là. En France, vous avez des gens qui vont parler de racisme systémique, ou qui au contraire vont dire que tout va bien dans la police. Moi je raconte simplement ce que j'ai vu" explique-t-il.

Un langage indigne du service public français

Certains comportements n'ont pas tardé à mettre mal à l'aise l'agent. À l'instar des bandes de banlieues, les 'flics' ont leurs propres codes et vocabulaire qu'ils ne se privent pas d'utiliser dans la plus grande banalité. Le tutoiement des personnes interpellées est le reflet d'un manque de respect, et certaines expressions sont rentrées dans le langage courant des brigades sans que plus personne ne s'en offusque.

"'Les bâtards'. Le premier jour ou je l'entends j'en suis choqué. C'est le mot qui désigne les hommes noirs, les Arabes et les migrants. C'est un mot profondément raciste. Et pourtant, au bout de quelques mois, je m'habitue. Le mot 'bâtard' est vidé de sa substance raciste, c'est devenu le jargon".

Des comportements similaires en Belgique

Chez nous en Belgique, la situation n'est guère différente. Ces violences verbales existent bel et bien. Les images chocs d'une bodycam involontairement enclenchée par un agent d'un commissariat liégeois ont démontré cette banalisation des propos dégradants. En avril 2022, les policiers avaient interpellé un homme de 29 ans, atteint d'un léger trouble mental. Une fois au poste, l'individu, certes violent, avait reçu des coups et subi les moqueries des policiers. Les huits policiers seront jugés fin mai.

Trop peu de considération pour la violence faite aux femmes

Retour à Paris. Lors de ce long séjour de six mois parmi ses collègues, Valentin Gendrot va être témoin d'un zèle très sélectif en fonction des demandes de dépôts de plainte. La violence conjugale ou faite aux femmes est un thème qui ne semble pas inspirer les préposés au maintien de l'ordre et de la sécurité.

"Une femme se présente au commissariat pour déposer plainte contre son mari qui a proféré des menaces de mort à son encontre. Voici comment elle est reçue : 'Madame, si cela se reproduit, revenez nous voir'. Ces plaintes qui ne sont pas enregistrées, cela peut déboucher sur des féminicides à terme".

Le policier reviendra ensuite auprès de ses collègues en se vantant : "Je l'ai shootée" autrement dit, il a renvoyé la plaignante chez elle sans prendre sa déposition. Une attitude qui surprend peu le journaliste tant il a pu constater au travers de sa formation et sur le terrain que c'est une problématique à laquelle il n'est pas donné d'importance.

"Les violences conjugales n'intéressent pas les policiers. Le seul moment où cela pourrait les intéresser c'est d'interpeller celui qui frappe. Mais aider des femmes battues par leur conjoint ou ex, non".

Le pire moment c'était quand j'ai maquillé une bavure policière

Pour Valentin Gendrot, ce qu'il a pu observer de la violence policière s'incarne dans quelques mauvaises têtes. La brutalité n'est pas la norme dans sa brigade, mais quelques personnes suffisent à décrédibiliser l'ensemble. D'autant que s'ils sont passifs, les autres policiers présents et témoins de bavures sont tenus de les reporter à leurs supérieurs. Or le silence règne…

"Le pire moment c'était peut-être quand j'ai couvert les agissements d'un policier, que j'ai maquillé une bavure policière. Je travaillais dans une brigade de jour qui comprend 32 policiers. Vous aviez toujours cinq ou six mêmes policiers qui se livraient à des violences policières. Ils passaient à tabac des interpellés dans des zones grises, où il n'y a pas de caméra. Par exemple, parfois, il y avait des gens qui étaient sortis de cellule de garde à vue et qui étaient frappés. Dans un fourgon de police, en pleine rue, quelqu'un peut-être frappé sans qu'il y ait de caméra non plus. Et comme vous avez des collègues présents qui ne disent rien, ces quelques policiers persistent dans leur violence. Il s'installe alors une omerta au sein du commissariat".

Extrait de 'Flic' de Valentin Gendrot :

"Un tapage en plein après-midi. Des gamins qui éteignent leur enceinte. Un flic énervé qui leur parle comme du poisson pourri. Un gamin qui répond : 'On n'a rien fait'. Le même flic qui tapote la joue du gosse et, par ce geste inutile et absolument hors de procédure, l'humilie volontairement devant ses potes. Par orgueil, le gamin répond à la provocation physique par une provocation orale ('je te prends en un contre un'). Le flic met le premier coup, il n'en reçoit pas en retour, mais en distribue un nombre considérable, insulte le gosse, l'embarque en garde à vue et le frappe encore à de nombreuses reprises. Ça s'appelle une bavure. […] Le plus effarant, n'est-ce pas mon attitude passive et, pire encore, celle, mutique, des autres collègues plus capés que moi ? […]
Derrière un écran d'ordinateur, Xavier et Mano passent la fin de leur journée à rédiger le procès-verbal d'interpellation (PVI). […] Je comprends très vite la manœuvre. Ils vont charger le gamin et absoudre Mano de toute responsabilité. […] Mon collègue décide de déposer plainte contre le gamin pour outrage et menaces sur personne dépositaire de l'autorité publique. […] Le rapport n'est pas terminé, on va rester de longues minutes dans ce bureau à écrire ce texte mensonger et éloigné des faits".