Crise de l’accueil : quelle est la capacité réelle de la Belgique pour les personnes qui demandent l’asile ? (carte interactive)

05/03/2023

Par Marie-Laure Mathot. Carte: Cristian Abarca

2400 places. C'est ce qu'il manque aujourd'hui pour héberger les demandeurs d'asile en Belgique dont une partie dort sous des tentes le long du canal à Bruxelles. 2400 places, c'est le chiffre donné en commission Intérieur à la Chambre ce mercredi par la secrétaire d'État en charge de cette matière, Nicole de Moor, interrogée sur la crise actuelle. 2400 places, ce serait augmenter la capacité d'accueil de la Belgique de 7%, ce qui a déjà été fait par le passé, lors de la crise de l'accueil de 2015, notamment.

Cette capacité d'accueil est une des questions au cœur des débats du Conseil des ministres de ce vendredi. Quelle est-elle ? La situation est-elle comparable à celle vécue au moment du début de la guerre en Syrie ? Qu'en est-il du nombre de personnes demandeuses d'asile chez nous ? Est-il aussi important que cette année-là ? On fait le point en chiffres, une approche certes froide et qui n'explique pas la situation humanitaire dans laquelle se trouvent ces personnes. Mais qui permet de mettre en perspective ce manque de places.

36.871 demandes d'asile l'année dernière

Si l'on regarde par rapport à 2015, le nombre de personnes demandant l'asile est clairement plus bas : 44.760 en 2015 contre 36.871 en 2022. Ce dernier chiffre est cependant en augmentation depuis 2016.

Un demandeur d'asile, c'est qui ? C'est une personne arrivée en Belgique pour demander à s'installer mais qui n'a pas de "visa", qui n'est pas arrivée sur le sol belge avec des papiers autorisant son séjour. Elle considère ne pas être en sécurité dans son pays. Voilà pourquoi elle vient "demander l'asile" chez nous. Pour cela, elle s'enregistre auprès de l'Office des étrangersà Pacheco à Bruxelles.

Ensuite, c'est le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides (CGRA) qui évalue si la personne a bel et bien besoin d'une protection, donc de l'autorisation de s'installer chez nous, et pour combien de temps. Si la demande est acceptée, la personne obtient le statut de réfugié. Si elle ne l'obtient pas, elle peut demander un recours, un nouvel examen de sa demande. Si elle est refusée, elle est alors considérée légalement comme sans papier.

En théorie, en attendant de recevoir une réponse à sa demande, ce qui peut prendre plusieurs mois, elle a droit à une place dans un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Ces 96 centres sont coordonnés par l'agence fédérale Fedasil (en gris sur la carte ci-dessous). Une partie d'entre eux sont gérés par des organisations (en rouge) comme la Croix-Rouge ou Caritas, d'autres encore par des organismes privés (en bleu).

Vous pouvez zoomer sur la carte et passer votre souris sur les cercles pour connaître le lieu et le nombre de personnes accueillies.

À noter que les 66.000 personnes originaires d'Ukraine arrivées en 2022 et 2023 ne sont pas des demandeuses d'asile car l'Union européenne a en effet décidé de donner une protection temporaire automatiquement, des papiers donc, aux Ukrainiens. Ils ont directement le statut de réfugié qui leur permet de rester chez nous sans passer par un centre d'accueil pour demandeurs d'asile. Ils sont donc "un pas" plus loin dans le parcours migratoire.

D'abord les personnes vulnérables

Ça, c'est pour la théorie. Mais dans la pratique, actuellement, ça se passe différemment avec le manque de places d'accueil. "Dans la réalité, avec la crise actuelle, on héberge automatiquement les femmes, les enfants, les familles et les personnes vulnérables, malades", explique Benoit Mansy, porte-parole de Fedasil.

Ils doivent s'inscrire sur une liste d'attente

"Elles reçoivent une place. Par contre, les hommes isolés, on leur dit que malheureusement vu la saturation du réseau, ils doivent s'inscrire sur une liste d'attente pour être convoqué plus tard quand une place se libère." Ce sont en partie ces hommes qui dorment le long du canal devant le Petit-Château.

On y retrouve également ceux qui n'ont pas encore eu leur premier entretien avec Fedasil mais qui sont seulement enregistrés auprès de l'Office des étrangers, la première étape sur le parcours migratoire belge. Combien sont-ils ? L'Office des étrangers n'a pas de chiffres à nous transmettre.

Mais au total, il manquerait actuellement 2400 places selon la secrétaire d'Etat à l'asile et la migration, Nicole de Moor.

34.020 places d'accueil au 1er mars 2023

Alors où en est l'accueil ? Aux places disponibles en centres collectifs ci-dessus (84%), on peut aussi ajouter des places en ILA (Initiatives locales d'accueil) gérées par les CPAS et d'autres logements gérés par des associations. Quand on cumule le tout, le nombre de places d'accueil s'élève à 34.020 places au 1er mars 2023.

Prenons tout de même ce graphiqueavec des pincettes. On ne peut pas conclure que le nombre de demandes a dépassé le nombre de places en comparant directement ces deux bases de données, même si c'est le cas actuellement. Le nombre de demandes d'asile enregistrées ne correspond en effet pas au nombre de candidats dans les centres d'accueil.

D'abord, parce que tous les candidats ne vont pas dans un centre d'accueil. Certaines personnes ont par exemple de la famille en Belgique et peuvent être hébergées chez elle.

Ensuite, parce que les durées de séjour dans un centre d'accueil sont variables. Le temps de passer des interviews pour voir si la personne court bien un risque et d'évaluer les réponses… le CGRA peut prendre plus d'un an. Sans compter les recours possibles. Ainsi, la durée de séjour moyen dans un centre d'accueil est de quinze mois.

Voilà pourquoi Fedasil demande que ce nombre de places soit flexible. "Le record de places a été atteint en 2016 puis de nombreuses places ont été fermées après cette crise de l'accueil", explique le porte-parole de Fedasil, Benoît Mansy. "Ensuite, il y a eu la parenthèse Covid où les frontières étaient fermées. Puis, des places ont été recréées mais ce n'est pas extensible à l'infini car nous faisons face à un manque de personnel pour travailler dans ces centres."

La solution doit aussi être plus structurelle

Pour Fedasil, comme pour d'autres acteurs, les solutions doivent être trouvées à long terme. "On continue à créer des places car il n'y a pas d'autres solutions à court terme mais la solution doit aussi être plus structurelle. Notamment en augmentant le nombre de dossiers traités au CGRA car il y a beaucoup plus de demandes d'entrées que de sorties dans les centres d'accueil", explique Benoît Mansy pour Fedasil. Du personnel a été engagé au CGRA pour réduire l'arriéré. Au 31 janvier 2023, 20.379 personnes restaient en attente d'une réponse.

Enfin, dernier facteur qui contribue à allonger la durée de séjour dans un centre d'accueil : le marché du logement, très concurrentiel. Si le demandeur d'asile reçoit le statut de réfugié, il doit trouver un toit. Ce qui est déjà compliqué à la base mais qui est encore plus difficile aujourd'hui avec l'arrivée de 66.000 réfugiés ukrainiens qui cherchent le même type de logement. "Certains CPAS ont mis beaucoup de logements à disposition des Ukrainiens", commente Benoît Mansy.

Un phénomène en bout de chaîne qui n'explique pas à lui seul la crise actuelle, loin de là. Voilà pourquoi la secrétaire d'État à l'Asile et la Migration, tente de trouver des solutions, se défend-elle en commission Intérieur. "Chez nous, je fais tout mon possible pour diminuer la pression sur le réseau d'accueil. D'une part, en créant plus de places mais aussi grâce la mise en place du paquet législatif qui a été discuté au sein du gouvernement pour augmenter les flux sortants."

Une solution qui doit être trouvée si la Belgique veut sortir de l'illégalité. Les astreintes imposées à Fedasil à la suite du non-respect du droit à l'accueil des demandeurs d'asile grimpent à 278,5 millions d'euros. En outre, la Cour européenne des Droits de l'Homme a aussi rendu au moins 1132 arrêts contre l'Etat belge pour l'absence d'hébergement. Nicole De Moor refuse de payer les astreintes, estimant que cela ne va pas résoudre le problème de manque de places d'hébergement et pourrait créer un effet boule de neige. À voir ce qui sortira du Conseil des ministres de ce vendredi.