Molenbeek : une jeunesse aux multiples projets tournés vers le vivre-ensemble

30/03/2023

Par Melanie Joris du service judiciaire

Au procès des attentats de Bruxelles, les interrogatoires des accusés ont commencé lundi après-midi. Salah Abdeslam et plusieurs de ses complices viennent ou vivaient à Molenbeek. La commune et ses jeunes ont beaucoup souffert de ces attentats. Sept après, nous sommes allés à la rencontre de cette jeunesse. Souvent décriée et stigmatisée, elle fait preuve de dynamisme et d'altruisme. De nombreux projets y sont développés autour du vivre-ensemble et du respect de l'autre.

Dans le parc de la rue Ménin, nous retrouvons les membres de la maison de jeunes La J. Cette après-midi, Safouane, Oumeyma et Ikram réalisent une fresque sur le thème de l'inclusion. Bombes de couleur à la main, ils concrétisent un projet qui a commencé par un échange d'idées autour de cette valeur.

Début de la réalisation de la fresque par les jeunes de la J © Melanie Joris

Safouane, 12 ans, nous explique ce que représente la fresque : "On s'en fout de la couleur de peau. Si on s'y met tous ensemble, on voit qu'on peut arriver à un beau résultat". Ikram, 16 ans, complète : "On voudrait montrer que la solidarité est présente. On a mis des couleurs pétantes, ça représente le quartier".

Oumeyma, peinture sur les doigts, décrit Molenbeek : "C'est une commune où on est tous solidaires. Tout le monde s'entraide". Pour autant, l'adolescente est bien consciente de l'étiquette qui colle à la peau de sa commune : "Dès qu'on parle de Molenbeek avec des Français, ils ont tout de suite une mauvaise image de nous parce que, pour eux, Molenbeek, c'est synonyme d'attentat. Mais si on rentre dans la commune, qu'on apprend à la connaître, on se rend compte que ce n'était qu'une seule personne qui a terni notre image". Oumeyma conclut : "Avant, ça m'énervait. Maintenant, j'ai appris à me défendre, à sortir de vrais arguments pour prouver que Molenbeek, ce n'est pas que ça".

D'autres projets ont été développés au sein de cette maison de jeunes comme la confection de t-shirts qui ont été présentés au Canada ou encore la réalisation d'une bande dessinée qui a permis un voyage jusqu'au Japon. Actuellement, des discussions sont engagées avec les jeunes sur la place des femmes dans l'espace public. Des projets où les jeunes sont amenés à partager et à se responsabiliser.

Débriefing suite à un voyage solidaire

Ce sont les mêmes principes qui guident les jeunes adultes de l'asbl Bien ou Bien. Ce soir-là, place à un débriefing suite à un voyage solidaire réalisé au Sénégal. Sur place, les jeunes ont creusé des puits, préparé des colis alimentaires et confectionné des kits scolaires. C'est le moment pour eux de partager leurs impressions, d'évoquer ce qu'ils ont appris sur place, ce qui les a marqués. Le mot qui revient le plus, c'est égoïsme : "On est tous un peu égoïste. Ici, on a une belle vie. Depuis que je suis rentré, j'ai un peu changé ma manière de vivre", avance Mohamed Amine, 23 ans.

D'autres projets sont en préparation. Un échange avec des jeunes Canadiens sur le thème de l'environnement, un projet avec les grands-parents de ces jeunes sur le thème de l'identité et de la migration. Autant de projets développés à l'initiative des jeunes. Alors quand la mauvaise image de la commune est évoquée, cela suscite pas mal de réactions.

Molenbeek et son image

Casquette sur la tête, grand sourire, Mohamed Amine constate : "Ça fait des années qu'on se fait taper dessus. On a essayé à maintes reprises de montrer notre belle image. On fait des choses très bien ici, mais ce n'est pas forcément connu".

Mohamed Amine, 23 ans, membre de la maison de jeunes Bien ou Bien © Melanie Joris

Le jeune homme n'habite plus la commune depuis quatre ans, mais a gardé un réel attachement à cet environnement. "Je suis toujours actif ici, c'est la preuve qu'on n'arrive pas à quitter cette culture molenbeekoise et qu'on ne se sent pas mieux ailleurs".

Un attachement très fort

Même attachement du côté de Hajar et Mélina qui habitent dans la commune depuis leur naissance. Elles ont, elles aussi, participé au voyage solidaire au Sénégal. Hajar pense que ce voyage l'a changée. Avant, elle estime qu'elle était ignoble, un terme fort qui provoque un fou rire chez la jeune femme. Pour Melina, c'était déjà le deuxième voyage solidaire. Avant le Sénégal, elle a passé une dizaine de jours dans un orphelinat marocain où elle se rappelle avoir "apporté beaucoup d'affection aux enfants".

Hajar (21 ans) et Melina (19 ans) © Melanie Joris

Sur l'image de la commune, Hajar réagit d'emblée : "Ce que disent les médias de Molenbeek, c'est faux. Moi, ça fait 21 ans que j'habite à Molenbeek, j'ai une vie formidable. On entend souvent "terrorisme, terrorisme", alors que pas du tout". Elle ajoute : "Franchement, ça m'énerve parce que l'image véhiculée à la télé ne correspond pas à la réalité".

Mélina poursuit l'analyse de son amie : "C'est vrai que les personnes qui ont participé aux attentats venaient de Molenbeek. Et c'est dans la nature humaine de se concentrer sur ce qui a été fait de mal, mais on ne peut pas résumer Molenbeek à ça. Je ne dis pas que tout est beau et rose dans la commune, mais c'est comme dans toutes les communes".

Sur cette stigmatisation de la commune et de ses habitants, Hajar complète : "Pourquoi nous pointer du doigt et dire : "Molenbeek, c'est une commune méchante avec des terroristes et des voleurs" ?". La jeune femme s'emporte un peu avant de s'excuser : "Désolée, mais ça m'énerve quand je pense à ça !".

Les deux jeunes femmes comme Mohamed Amine ont un autre point commun : leur fierté d'être Molenbeekois.

Fier d'être Molenbeekois

Cette fierté molenbeekoise est également observée par Olivier Vanderhaegen, celui qu'on a appelé "Monsieur radicalisme" au lendemain des attentats. À l'époque, il est conseillé en prévention, développe de nombreux contacts avec les familles molenbeekoises et tente un travail de prévention à la radicalisation. Aujourd'hui, directeur de l'action sociale au CPAS de Molenbeek, l'homme a accepté de revenir sur cette période difficile pour la commune.

Olivier Vanderhaegen, ex-conseiller en prévention de Molenbeek. Actuel directeur de l'action sociale au CPAS © Melanie Joris

Pour Olivier Vanderhaegen, les jeunes Molenbeekois ont bien conscience de l'image qui pèse sur eux. "Beaucoup ont réussi à retourner ce stigmate. Ils nous disent : "Je suis fier d'être Molenbeekois. Et voilà ce qu'est Molenbeek avec son identité, sa culture, sa cohésion sociale et son vivre-ensemble". C'est très riche et intéressant".

Il n'est toutefois pas question d'une vision idéalisée de la commune. Pour l'ex-conseiller en prévention, la jeunesse de Molenbeek rencontre pas mal de difficultés : "la stigmatisation qui vient de l'extérieur peut constituer un frein dans l'insertion des jeunes sur le marché de l'emploi ou pour la recherche d'un logement. Cette étiquette négative qui colle à la peau de la commune peut peser lourd sur l'estime de soi de ces jeunes".

D'où l'importance d'un bon réseau et d'un bon encadrement surtout dans cette commune qui fait partie du croissant pauvre de la région bruxelloise. Olivier Vanderhaegen souligne ce qui peut se jouer en arrière-plan lorsqu'il y a du décrochage scolaire et de la précarité : "Ces jeunes peuvent potentiellement être attirés par une forme de socialisation alternative notamment via le trafic de drogue ou la petite criminalité".

Les habitants de Molenbeek sont confrontés aux difficultés propres aux communes pauvres. Mais ceux-ci démontrent chaque jour l'ampleur de leur dynamisme. Ces jeunes fourmillent d'idées pour rendre la société plus accueillante et respectueuse.