« Mépris social », « moqueries »… La population originaire d’Asie victime de racisme « banalisé »

17/03/2023

DISCRIMINATIONS Selon une étude, ce racisme ne se manifeste pas de la même manière chez les hommes et les femmes

20 Minutes avec agences Publié le 16/03/23 à 14h56

Dans le cadre du projet recherche REACTAsie, le réseau MAF (Migrations de l'Asie de l'Est et du Sud-Est en France) s'est intéressé au racisme qui touche les personnes d'origine asiatique vivant en France. Ces dernières font face à un racisme multiforme, « banalisé » et rarement dénoncé, selon cette étude de sociologues publiée mercredi, qui montre que la pandémie de Covid-19 a accéléré une « prise de conscience » de ces discriminations.

Les auteurs de cette étude - soutenue (financièrement) par le défenseur des droits - ont relevé que « les expériences quotidiennes de discrimination […] à l'encontre des Asiatiques en France font rarement l'objet de rapports officiels » et que « la recherche scientifique s'est jusque très récemment peu mobilisée pour (les) documenter ».

Un racisme « ordinaire »

Aussi ont-ils mené, entre 2020 et 2022 - soit au moment de l'émergence de la pandémie de Covid-19 - des entretiens biographiques approfondis auprès de 32 jeunes diplômés de l'enseignement supérieur d'origine asiatique (primo-arrivants ou descendants de migrants), âgés de 20 à 40 ans, résidant en France. Ces « enquêtés » avaient, à 80 %, un niveau Bac + 5, et étaient originaires notamment de Chine continentale, Japon, Corée, Vietnam, Laos, Philippines, Hong Kong, Taïwan. Les deux tiers étaient nés sur le sol français.

Résultats : il existe « des spécificités propres » aux expériences de racisme anti-asiatique, comme la « banalisation » et « le caractère ordinaire » de leurs manifestations - souvent exprimées « sous la forme de l'humour », a résumé l'une des auteurs de l'étude, Simeng Wang, lors d'une présentation à la presse.

Des moqueries à l'école

Pour la chercheuse au CNRS, « l'espace public, l'école et le travail » restent les lieux de production du racisme « les plus fréquemment cités » par les enquêtés. Certains d'entre eux, enfants de restaurateurs, racontent avoir subi, à l'école, « du mépris social, avec des moqueries de leurs camarades du type "tu sens les nems", "bol de riz" », a-t-elle détaillé. Qui a nourri quotidiennement un « sentiment de honte », mais a aussi pu conduire à forger une attitude de « surcompensation et d'envie de réussir ».

Sur le plan du travail, les discriminations se conjuguent aussi « avec une assignation raciale » de la personne, souligne l'étude, qui cite le témoignage d'une diplômée d'une école de commerce parisienne qui a « envoyé sa candidature à des postes de gestionnaire mais n'a obtenu aucun entretien. Les entreprises qui l'appelaient lui proposaient systématiquement des postes de vendeuses. »

Une différence selon le genre

Autre enseignement : « le racisme ne se manifeste pas de la même façon selon le genre ». Ainsi « les hommes asiatiques subissent des stéréotypes liés à leur masculinité souvent dévalorisée ». Tandis que les femmes, dont « la féminité est fantasmée », selon Simeng Wang, doivent faire face à « l'imbrication du racisme et du sexisme », dans le monde du travail (harcèlement sexuel) ou dans l'espace public - elles sont abordées dans la rue par des inconnus.

Face aux expériences de racisme, « le taux de réaction et de recours [en portant plainte par exemple] est très faible », souligne-t-elle. La chercheuse avance plusieurs explications : « l'étiquette de "minorité modèle" ("travailleurs", "discrets", "forts en maths") qui enferme les personnes asiatiques dans des stéréotypes positifs et les empêche de verbaliser ». Et, chez les primo-arrivants, « l'héritage du confucianisme », la « faible maîtrise de la langue » et une « logique de survie ».

Le Covid-19, un « catalyseur »

Pour autant, souligne Simeng Wang, « la pandémie de Covid-19, qui a été un moment d'expression paroxystique » de ce racisme, a joué un rôle de « catalyseur dans la prise de conscience », individuelle ou collective, des discriminations, chez les jeunes enquêtés. S'en sont suivis plus de « posts sur les réseaux sociaux », une « médiatisation » accrue de ces phénomènes et des pouvoirs publics qui y s'intéressent davantage, selon elle.

Enfin, à noter : les situations sont perçues différemment selon l'origine des personnes interrogées. Ainsi celles « d'origine japonaise » se mettent davantage « à distance du racisme anti-asiatique, en associant ce dernier aux personnes issues d'autres pays asiatiques ». En revanche, pour celles « descendants de réfugiés politiques de l'Asie du Sud-Est (boat people), l'entrecroisement entre l'histoire familiale et l'histoire coloniale les prédispose aux réflexions et débats sur les rapports sociaux de race », selon l'étude.